Destin d’un ‘bleu’ prisonnier

Pierre Chauveau né en 1919 à Paramé, commis épicier est incorporé au titre de la classe 44 le 14.06.1940 au R.C.C. Vannes ( Régiment de Chars et de Combat. ).
Il se retrouve avec d’autres appelés de Nantes, Paris, Marseille, Brest, Charleroi aux profils divers ( employé de commerces, agriculteurs, instituteurs, fonctionnaires.) mais aussi célibataires , père de familles et de tout âge .
Ils font leur première instruction et malgré l’ambiance conflictuelle entre la France et l’Allemagne, ils chantent avec beaucoup d’humour mais en sourdine, cette chanson improvisée de leur sergent instructeur.
« Ah maman, ne pleurez pas / Nous allons « couper « la br..du sergent / Mais avant de la lui couper / Nous allons la lui attacher / Attacher la br…du sergent / Avec un ruban bleu «
Deux semaines après, il se retrouve en « résidence surveillée » par les allemands arrivés sur Vannes le 22.06.40 avec la quasi majorité des autres appelés, tandis que certains avaient préféré fuir sans les attendre, ce qui leur valu d’être considérés comme déserteurs par le régime en place.
Menaces, promesses de libération, déportations proférées par les allemands, il sont finalement acheminés après 2 mois sur le champ de courses de Savenay, devenu le camp de transit aménagé par les allemands. Le « suckerfabrick » est entouré de fils de fer barbelés et de tours miradors. S’entre suivent alors de nombreuses manœuvres pour aligner les wagons en bon ordre, avec plus ou moins de facéties de ces jeunes prisonniers, au grand dam des surveillants et gardes allemands.
Deux mois après, ils sont entassés sur la base de 40 hommes par wagon et « voyagent » sans connaître précisément leur destination, toujours avec une pointe humoristique : » nach deutschland » (sans fleurs ni fusil).

Les mois passent et au printemps 41 ils arrivent à Brunswick à la ‘Firma Karl Schaare’ en effectuant différents travaux, qu’un de leurs mis en musique sur l’air de ‘O tannenbaum’ :
‘O Strassenbau (oh travaux de route ) / O Tiffenbau ( oh travaux de fondation ) / Wis treue sint eisenbahnbau ( combien sont tristes les travaux de chemin de fer )’.
Tandis que les premiers rudiments de la langue allemande leur deviennent de plus en plus familiers, il arrivait que certains contremaîtres mal réveillés, leur lançaient sur le chantier un ‘guten morgen’ ( ‘bon matin’ ), où se trompaient en lançant un ‘heil Hitler’ comme un des leurs, surpris de leur silence en retour ou par un retour ‘morgen ‘ ou encore ‘was is das’ innocent.
12 h de travail par jour du lundi au vendredi ‘seulement ‘ car encadrés par les contremaîtres civils sous la surveillance des soldats allemands, ces derniers ne travaillaient pas les week-ends. Les prisonniers se retrouvaient donc dans leurs stalags les samedis et dimanches, en étant laissés à eux-mêmes sous la surveillance des soldats allemands . Ils s’occupèrent alors tant bien que mal pour leur ordinaire et les ‘extras’ qu’ils pouvaient se permettre, avec soit l’indulgence des gardes , soit avec leur complicité éventuelle. Ils percevaient des ‘marks camp’ utilisables en principe, uniquement dans leur stalag pour améliorer leur quotidien, mais également à se faire acheter des objets de l’extérieur en ‘douce’.
les colis ‘Pétain’ et familiaux commencèrent à parvenir plus ou moins régulièrement, mais surtout les premiers courriers de France. Ces correspondances permirent à Pierre Chauveau, d’épouser contractuellement sa fiancée Germaine Menez née en 1922 , femme de chambre et restée au pays, par procuration le 14.05. 43 entre les autorités françaises et allemandes. Une fête a bien sûr eu lieu sur le camp par un repas ‘exceptionnel’ avec les moyens du bord.
Une aventure mémorable lui arriva un matin avec un de ses camarades, ils avaient repéré près des champs de patates ‘des jardins ouvriers’ avec des pommiers chargés de fruits, ce qui manquait le plus dans leur alimentation . ils montèrent une expédition au petit jour et se glissèrent, en escaladant le muret où ils se trouvaient sur leur chantier dans la pénombre. La cueillette fut abondante et les musettes bien remplies, mais ils se firent surprendre par le propriétaire qui les houspilla et ils détalèrent . Pierre Chauveau s’empêtra dans ses chaussures et se fit prendre. Il rejoignit la troupe un peu plus tard avec comme sentence : une semaine de punition dans le camp. Pour faire amende honorable, il refusa d’en manger après que son camarade eut récupéré les pommes, qui avaient été cachées préalablement, avant le flagrant délit.

Pierre Chauveau ‘fit popote’ avec son ancien sergent instructeur du R.C.C. de vannes, lui aussi fait prisonnier et un autre camarade de chambrée. Ils mutualisent leurs colis et ‘festoient’ le dimanche soir un repas sortant de l’ordinaire et parfois, devant leurs gardiens surpris, des préparations culinaires à la française. Ces derniers mangeaient leurs pomme de terre bouillie et froide alors que les prisonniers en frites ou en omelette avec du lard. Les colis familiaux étaient supervisés et l’alcool interdit . Un jour, une demie bouteille de rhum fut trouvée dans un colis et confisquée sur le champ et remisée dans un placard. A sa plus grande surprise, la veille de noël, le destinataire récupère son bien avec le sourire malicieux de l’Oberst ( commandant du camp ). De même un ‘jambon’ extraordinaire de Bretagne eut le même sort : confisqué et remis également par la suite.
Au moment de la corvée de pluche ‘les 3 compagnons de route’ reprennent en chœur une composition d’un des leurs, plutôt réservé habituellement et assez triviale, qui les faisaient rire :
‘Oh la salope / Va laver ton c… malpropre / car il n’est pas propre diguelire / Car il n’est pas propre diguela’
La sexualité mis ‘sous le boisseau’ rejaillissait de temps en temps par certaines chansons, pour compenser leur frustration. Un des prisonniers d’un autre stalag conquis une polonaise elle aussi prisonnière, et se retrouvaient de temps en temps par tout temps en dehors du camp, une grande partie de la nuit sans se faire prendre. Les allemands pour protéger leurs militaires qui se trouvaient au front, menaçaient des pires représailles, ceux qui lorgnaient leurs femmes de trop près . Tous les mois le ‘dolmecher’ ( l’interprète ), lisait un texte traduit mot par mot : » les prisonniers de guerre sont interdits de s’approcher des femmes et des filles allemandes…..en cas de relations sexuelles, la peine de mort pourra être prononcée « . Mais que cela ne tienne, l’envie de les regarder et de leur sourire l’emportaient largement.

Lors d’une revue genre music-hall intitulée ‘ça colle à bord’ initiée par des camarades d’un stalag voisin, une scène fait craquer les spectateurs en présence des gardiens devenus hilares. Un des camarades se déguisa ‘en moukère’ aux yeux de braise et s’était fabriqué en douce dans une usine, une poitrine métallique, qui tenait par un foulard tendu. En se déhanchant lors de circonvolutions de pas de danse, un bout de sein magnifique luisant sur l’aluminium, émerge du foulard. Applaudissement général spontané de tous les spectateurs prisonniers et soldats allemands compris. L’ambiance dans les camps, malgré leur désespoir de ne pas savoir quand ils pourraient revenir au pays, était de mise à ces occasions récréatives et festives. Par exemple à l’occasion du troisième noël en captivité, une autre revue fut mise en place, dont le final se termina par cette chanson sur l’air ‘de la trompette en bois ‘.
« Si nous avons su vous distraire / Applaudissez, applaudissez / Car notre effort était sincère / Nous voulions vous mettre en gaieté / Et si nous avons réussi / A chasser l’noir / C’est notre espoir / Nous vous disons tous chers amis / A la prochaine et…bonsoir «
Le spectacle théâtral achevé, la soirée se termina par une messe de minuit officiée par l’aumônier du camp lui-même prisonnier, avec un réveillon pris sur les réserves de colis, économisées depuis plusieurs semaines par stalag. Quoique la nuit fut courte, les prisonniers bénéficièrent des jours de congés supplémentaires des fêtes de noël ,au même titre que la population allemande et purent récupérer physiquement pour reprendre leurs travaux laborieux de commando.
Ils étaient comme Pierre Chauveau environ 10 % à suivre les messes dominicales, qui se déroulait dans sa chambrée, ses camarades non pratiquants désertant pendant le temps de l’office.
Le temps s’égrena lentement et patiemment jusqu’au jour où ils furent libérés progressivement, les rapatriés sanitaires en premier lieu, puis les suivants plus ou moins en bonne santé, avec le soutien de la Croix Rouge et les forces alliées.
De retour du stalag VIII C à Sagan en Silésie, il retourne au pays et est recruté au Ministère de la Reconstruction. Il bénéficie avec son épouse d’un logement d’urgence dans un baraquement provisoire au vieux Doulon , à la suite des bombardements de la ville en 44. Une cérémonie religieuse se déroula pour ‘officialiser’ leur mariage. Les deux camarades qui furent ses témoins du mariage par procuration en Allemagne, furent présents ( les sergents Georges Chardronnet et Pierre Gaignard ). Ils restèrent près de 14 ans et de cette union 6 enfants sont nés dont 2 morts nés au premier et troisième rang. « La vie est dure et souvent l’argent manquait ». Il finit par quitter l’administration d’Etat, pour reprendre une activité de représentant de commerce de linge de maison chez ‘solfin’, en achetant sa première voiture ( une 2CV ) pour ses déplacements professionnels. Son activité se déroulait au domicile des particuliers sédentarisés et peu mobiles. Il acheta une vieille maison qu’il rénova sur Saint Anne sur Brivet (près de Pontchâteau), avec l’aide de temps à autre de sa fille Bernadette, pour se rapprocher de son secteur d’intervention sur la Brière, la presqu’île Guérandaise et Saint Nazaire. Il devint responsable de son secteur et se tua le 22.04.1972 sur la route, dans un accident de voiture sur la commune de Paquelais ( près de Vigneux de Bretagne).

Tout au long de sa vie, une solidarité fut de mise où les 3 frères épousèrent les 3 sœurs, et Pierre Chauveau noua des liens indéfectibles avec plusieurs de ses camarades de stalag.
S’il a survécu à la guerre… il n’en a pas été de même dans la vie civile !
